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Flore-chan — Fanny
Published: 2014-06-22 09:22:22 +0000 UTC; Views: 336; Favourites: 2; Downloads: 0
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Description Qu’est-ce qu’une personnalité sinon un assemblage, inégal, de caractères, qui pris dans leur individualité ne sont rien de plus que de grossières caricatures ?

Pour connaître un ensemble, dit-on, il faut et il suffit de connaître chacun des éléments qui le composent. Pour connaître le Moi, il faudrait et il suffirait de faire l’inventaire exact de toutes les caricatures qui le composent.

Elizabeth est une joueuse. Elle n’a pas d’autres qualités. Elle passe toutes les futilités de décision qui font la majeure partie de la vie au crible du hasard. Elle se dit que de toute façon, quoi qu’elle y fasse, ce sera toujours lui qui aura le dernier mot. Autant lui laisser le premier, c’est moins fatiguant. Dans ce sens, Elizabeth est une fataliste. Aussi, comme elle n’est responsable de rien, elle s’amuse de tout. Tout, tout la fait éclater de rire. Le hasard a fait que le ciel lui paraît bleu, elle n’y peut rien, mais au lieu d’être saisie par l’angoisse de son non-pouvoir de décision, elle éclate en milliers de rires. Puis elle se rassemble, re-contemple l’œuvre du hasard, et re-éclate. Personne dans la grande assemblée du Moi n’a encore compris pourquoi. Fille prévisible qu’est Elizabeth : c’est la première Caricature.

La Caricature qui lorgne le plus Elizabeth doit être Loli. Loli est logicienne, ou peut-être logicien, personne n’a jamais su. Loli regarde tout le temps Elizabeth, parce qu’Elizabeth est sa plus belle représentation de la logique. Elle éclate, se rassemble, contemple, éclate, se rassemble. Elle suit un cycle logique (nous dirons que pas vraiment, mais c’est ce que Loli pense). Si Elizabeth faut à son cycle, rien qu’une fois, le monde de Loli s’effondre. C’est comme si Loli aimait Elizabeth à la folie furieuse, mais Loli n’est que logicien(ne), donc Loli n’aime pas.

S’il y en a un qui aime, c’est Julien. Julien est l’esclave de Fanny, nous parlerons de Fanny plus tard. Avec Julien, la moindre des choses prend des proportions formidables. Ça débute par un frisson au creux de l’épaule, puis ça grimpe tout le long de la jugulaire, le rouge monte à ses joues, jusqu’au bord des yeux, et Julien explose. Ou plutôt implose. Tout son être chancelle, il ressent la pression de l’air dans chaque centimètre cube de son corps, si forte qu’il croit qu’il va s’envoler en milliers de morceaux d’os et de chair. Mais tout ça c’est dans sa tête. Julien est un passionnel. Il est grand, longiligne, il a le pas stoïque des nobles. Pourtant dans ses yeux il y a un mélange confus de fierté et de peur. L’amorce d’une colère orgueilleuse, d’une bataille amoureuse, l’amorce des sanglots et des plaintes. Au fond, il n’a aucune idée des raisons de ses passions, mais il se laisse embarquer et c’est à ces moments-ci qu’il est le plus Julien. Julien dans une certaine mesure doit être la plus belle, la plus puissante des Caricatures.

Non loin, il faut voir Cassiopée la tête dans les étoiles. Cassiopée c’est l’indifférence aux choses, puisqu’elle n’a qu’un seul intérêt dans la vie, c’est de compter les étoiles. Même quand Julien pique une crise, elle continue de compter. Si les étoiles sont importantes pour Cassiopée, c’est que voir la nuit et ses étoiles c’est comme voir à l’intérieur de Cassiopée. Le chaos puis des lumières, à la fois rares et innombrables, qui n’ont pour Cassiopée aucune signification. Cassiopée doit être atteinte d’un certain narcissisme, à regarder toujours à l’intérieur d’elle. Lorsque tout le reste de l’assemblée du Moi est silencieuse (il ne doit y avoir qu’Elizabeth en train d’étouffer ses petits rires), c’est Cassiopée qui se dilate, qui envahit tout l’espace de la personnalité.

Cecil a l’habitude de susurrer à l’oreille de Cassiopée : « arrête de regarder les étoiles, regarde plutôt dehors ». Cecil est plein de candeur et d’optimisme, il aime à contempler le monde et à dire : « ce que je vois est beau ». Contrairement à Elizabeth, ce que Cecil voit n’est en aucun cas le fruit du hasard. Chaque chose dans ce monde a été faite telle qu’elle soit la meilleure possible. Nous pouvons traiter Cecil de naïf, mais c’est mal le comprendre. Cecil n’est pas dupe, il a la connaissance du malheur et de la perversion, mais il a l’intuition profonde qu’il y a du bon dans chaque chose. Naturellement Cecil est en constant conflit d’opinion avec Fanny. Nous n’avons pas encore évoqué Fanny.

Fanny, c’est la maîtresse des lieux, la folle du logis. Fanny sait tout, comprend tout. Et pour cela, au grand dam de Loli, elle n’a aucunement besoin de logique. Toutes les vérités lui éclatent à la figure, et comme elles sont souvent mauvaises, Fanny a presque toujours le cœur au bord des lèvres. Julien, en sa qualité d’homme sensible, reste à ses côtés. Nous disions que Julien est l’esclave de Fanny, c’est que Fanny est la cause des passions de Julien. Fanny communique son sentiment d’injustice à Julien, le frisson au creux de l’épaule. Nous parlions de colère orgueilleuse, en réalité peu de choses franchissent la barrière du corps. Julien crie, pleure, convulse. Le corps ne suit pas les comportements de Julien, il y a les barricades de la pudeur qui empêchent le corps de se mouvoir. Même si l’âme est une mer de douleur, le corps est paralysé. Fanny jure qu’elle n’est pas à l’origine de ces barricades. D’autant qu’elle se souvient, elles ont toujours été là, elle dirait même que les pierres qui les constituent se sont multipliées avec le temps. Pourtant, à mesure qu’elle observe et s’horrifie des misères de tout, Fanny gagne un drôle de goût dans la bouche. Ça met Julien dans un état de démence absolument terrible. Et alors que le corps devrait hurler la détresse, les barricades résorbent l’âme.

Il y a pour Fanny deux sortes de vérités. Celles générales : il y a la guerre, il y a la paix, et aucune n’existe sans l’autre. Celles-ci sont un peu malheureuses, mais Fanny, après la première stupeur, parfois violente, s’en arrange bien. Puis il y a les vérités de la seconde sorte, celles que Fanny a décidées. Nous disions que Fanny sait tout et comprend tout. Par conséquent c’est elle qui prend toutes les décisions importantes, toutes les décisions sociales. Et sur le moment elles lui sont toutes éminemment évidentes. Machine demande un service, Fanny pèse le pour et le contre, se rappelle de ce qu’elle a noté de la sincérité des yeux de Machine, souvent accepte. Machine lui fait un compliment, Fanny sait que Machine va lui redemander ses services, et que c’est pour cela qu’elle a des flatteries dans sa bouche. Mais Fanny sait aussi que Machine a le pouvoir de troubler toute l’assemblée du Moi. Donc Fanny envoie un sourire qui se veut franc. Voilà l’impitoyable algorithme que Fanny a créé, et qui garantit la stabilité de la personnalité. Premier test : si vérifié alors faire ceci, sinon cela. Tant que Machine dit « blabla », dire « oui », fin de boucle, dire « non ». Le seul bémol, c’est que comme tout algorithme appliqué à des situations trop complexes, c'est-à-dire humaines, le système est faillible. Inexorablement l’échec survient. Et là Fanny se décompose. La vérité c’est que ses rouages de la justice c’est que de la machinerie. Pas de sentiments, seulement ce drôle d’engin qu’elle a construit toute seule, et qu’elle a appelé Morale.
Quand Fanny réalise l’échec, comme une folle elle cherche l’erreur, la tâche de poix qui a enroué tout le système. Et à chaque fois Fanny comprend qu’il n’y a pas d’erreur, et alors la mort aux lèvres elle accroche dans le ciel de Cassiopée une énième étoile sombre. C’est comme ça que le ciel de Cassiopée est devenu laid. Ou peut-être qu’il n’est pas devenu laid à proprement dit, mais qu’il était laid en puissance.

À travers les yeux de Cassiopée, Cassiopée qui se dilate, Fanny apprend l’ultime vérité. À l’intérieur on a beau faire, ça reste odieux et laid.
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Comments: 1

Tsukiiyo [2014-06-22 18:40:49 +0000 UTC]

Moi j'aime beaucoup !!

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