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Vassilius — Les liens de lImperatrice
Published: 2016-07-31 17:26:19 +0000 UTC; Views: 250; Favourites: 0; Downloads: 0
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Description Accoudée au balcon de sa chambre, Ludmille Soyka-Vlaev contemplait la ville de Karvenka, qui s’étendait sous elle.
La gigantesque capitale karvène dessinait, sous ses yeux, un dédale complexe, un entrelacs confus de rues, de toits, d’escaliers et de ponts, comme raccordés pêle-mêle par un architecte insensé. Cette vision lui rappelait parfois les oeuvres de certains peintres modernes, qui montraient des scènes absurdes où sols et plafonds étaient confondus, et où les gens marchaient sur les murs, le corps bien horizontal, comme si la gravité n’avait aucune prise sur eux.
Karvenka était une ville ancienne, qui s’était construite dans le désordre. Au commencement, alors que l’empire étendait son emprise sur les provinces alentour, de nouveaux peuples s’étaient installés dans la capitale, apportant avec eux leurs spécialités culinaires, leurs habits insolites, leurs religions oubliées. Et leurs architectures aussi. Karvenka ressemblait à une vaste mosaïque bariolée où les dômes de cuivre verdi cotoyaient les toits d’ardoise et de zinc, et où, ça et là, une façade de bois peint émergeait entre la brique rouge et la pierre noire.
Karvenka était une ville riche de cultures et d’histoires et Ludmille Soyka-Vlaev, avec ses cheveux d’or, sa peau de jaspe et ses yeux céruléens, était le fruit emblématique du formidable brassage humain qui s’y déroulait à chaque instant.
Elle se redressa et balaya encore une fois du regard le vaste panorama avant de faire volte-face pour retourner dans sa chambre. Les audiences allaient bientôt commencer.
Sur son lit étaient posés les instruments de son pouvoir : un petit masque de porcelaine moulé aux contours de son visage, une perruque de laine noire et une longue robe d’apparat noire et blanche. A cette panoplie s’ajoutait le Khurumi, un petit couteau à lame incurvée, symbole traditionnel de la noblesse karvène.
Ludmille s’empara du masque et le fit tourner entre ses doigts. L’espace d’un instant, elle voulut le jeter contre le carrelage, voir la porcelaine voler en éclats. Mais elle n’en fit rien, le masque resta dans ses mains. Elle le posa alors contre sa peau cuivrée et d’un geste rendu mécanique par une longue habitude, noua les liens qui le tenaient en place.

~

En marchant vers la salle d’audience, l’impératrice songeait aux conséquences de son règne, sur elle, et sur le monde alentour. Issue d’une maison mineure, elle s’était hissée sur le trône par le jeu complexe de la loi karvène. Elle avait été soutenue dans ses ambitions par des gens qui croyaient en elle, en son projet de faire de l’empire un endroit meileur, où régnerait la raison, et la justice, où les faibles ne seraient pas à la merci des forts, où chacun pourrait s’épanouir en paix. Elle avait imaginé réduire les impôts qui engraissaient une cour déjà prospère au détriment du peuple, taxer durement, en revanche, les guildes marchandes, qui prospéraient sur un esclavage à peine déguisé et dissoudre, enfin, le réseau criminel des familles de Karvenka. Puis elle avait revêtu l’habit impérial et compris la réalité des choses. En seulement sept ans, le pouvoir avait creusé son front de rides, et strié d’argent sa chevelure. Elle ne régnait qu’avec l’accord de la noblesse et de la bourgeoisie karvène. Ce trésor indécent, qu’elle avait voulu rendre aux plus démunis, était la manne qui lui permettait d’exister politiquement, et de conserver une chance d’agir contre les guildes. Le pouvoir était un gouffre qui exigeait un tribut colossal en temps, en argent, en énergie, si bien que le simple fait de se maintenir à cette place avait consummé l’entièreté du règne de Ludmille Soyka-Vlaev.

Quand aux familles... La criminalité était une gangrène qui proliférait sur la plaie béante de la misère humaine. Pour chaque voleur que l’on enfermait, dix mendiants étaient prêts à prendre sa place. Il ne suffisait pas de repousser l’infection, il fallait refermer la plaie.

Mais depuis quelques mois, quelque chose de nouveau encore semblait agiter l’empire. En cet âge de progrès, où le bonheur de chacun semblait à portée main, et ne tenait qu’à une nouvelle distribution des cartes, les inégalités s’étaient creusées comme jamais auparavant. Les hommes et les femmes convoitaient les biens de leurs voisins et cette fièvre envieuse semblait peu à peu se propager par dela les frontières. Au nord, on reprochait aux prospères wilans d’accaparer les richesses. Au sud, on accusait les fiers usami de faire entrave au commerce. Les tensions montaient inexorablement et plus rien ne semblait pouvoir satisfaire les peuples assoiffés de renouveau, empêcher l’escalade violente du rejet et de l’incompréhension.

Ludmille Soyka-Vlaev parvint enfin devant la petite porte qui menait à sa loge. Elle ajusta sa perruque, tira doucement sur sa robe et poussa le battant. Elle apparut dans la salle d’audience, surplombant le conseil des ministres et des différents notables, spécialistes en tous genres, choisis pour l’assister. Tous se levèrent en la voyant, et tous s’inclinèrent profondément.

Alors, parée de tous ses atours, le Khurumi serré dans son poing, elle vint s’asseoir, lentement, solennellement, sous le dais impérial.

Les ministres reprirent place à leurs bureaux respectifs et, à l’autre bout de la pièce, tandis que les larges battants de la salle d’audience s’ouvraient, un valet annonça :
- Lieutenant Nicholas Serov, sentinelle de la cour.
Ludmille frémit en entendant ce nom. Nicholas faisait partie de ces personnes, rares et précieuses, qui avaient activement soutenu son ascension vers le trône, ces personnes qui, avant d’être des sujets, avaient été des amis. Qui, avant d’offrir une allégeance, avaient partagé avec elle le souhait d’un monde meilleur, pour eux et pour les autres.
Le soldat qui apparut était grand, large d’épaules. Ses yeux étaient du même vert que celui de son uniforme. Il avançait d’un pas raide et arborait les traits durs, le visage fermé du serviteur réticent.

L’impératrice aurait voulu retirer son masque, serrer cet homme dans ses bras et lui parler d’égal à égal. Le rassurer et lui dire que le rêve qu’ils avaient partagé, les promesses qu’ils s’étaient faites n’avaient pas disparu. Elle n’en fit rien.

Et Ludmille Soyka-Vlaev, souveraine de l’empire karvène, impassible sous le dais de sa fonction, se prit elle-même à rêver de révolution.
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Comments: 5

ValkAngie [2016-08-01 15:11:26 +0000 UTC]

Le concept du masque me fait un peu penser à Liz10 dans le début de la saison 5 de "Doctor Who", le masque fait exactement sur mesure, tout ça.
Sinon, j'aime bien toute l'introspection et la "guest appearance" d'un autre perso dont on a déjà lu un peu. (Attention à quelques fautes de frappes, par contre. "avant de fire volte-face" et d'autres petites choses comme ça. Il m'a semblé en lire d'autres mais je les ai plus en tête.)

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Vassilius In reply to ValkAngie [2016-08-18 22:24:24 +0000 UTC]

Merci. J'ai d'avantage pensé au bal des Boyle dans Dishonored. L'austérité du costume de mon impératrice n'y correspond pas tellement, mais j'imagine la cour de Karvenka un peu à cette image, bariolée, exubérante et pleine de secrets.

J'ai créé un wordpress pour lire plus confortablement mes textes. Ils seront toujours postés ici, souvent en avant première, mais quand je fais des retouches, c'est généralement sur le wordpress. Pour schématiser, on pourrait dire que dA est un peu ma "zone test", alors que WP ne voit édité que ce qui entrera dans le "canon officiel". Les textes y sont donc dans une version "plus définitive".

En plus y a les images.^^

C'est par là :

quatremaille.wordpress.com

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ValkAngie In reply to Vassilius [2016-08-19 23:29:27 +0000 UTC]

Ok, je vais aller y faire un tour!

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Cendram [2016-08-01 09:26:08 +0000 UTC]

Génial ! L'impéraatrice est un personnage profond et intéressant, j'adorerais en voir plus! 

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Vassilius In reply to Cendram [2016-08-18 22:10:27 +0000 UTC]

Merci. J'essaie de pondre un truc vraiment plus long pour la prochaine fois, mais je me concentrerai à nouveau sur Mathilde...

Si tu veux lire mes textes dans un format plus adapté, j'ai créé ceci :

quatremaille.wordpress.com

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