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Vassilius — Menoch [Partie 1/3 - FR]
Published: 2015-05-18 17:11:41 +0000 UTC; Views: 271; Favourites: 0; Downloads: 0
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Description Mathilde contemplait la fresque chaude et mouvante, toute en brun, en or et vermillon que faisait le soleil à travers ses paupières closes.

Assise sur ses talons, les genoux ancrés dans le sol, le dos bien droit, elle inspirait, par longues bouffées tranquilles, l’air frais, sec et incisif de ce nouveau matin de printemps.
Elle ouvrit les yeux. Le vert et le blanc remplacèrent aussitôt le camaïeu de chairs. Derrière un mince rideau de brume, des montagnes, vieilles, rabotées par le temps, hérissées de sapins, faisaient le dos rond dans le jour naissant et, dans les plaines à leurs pieds, des troupeaux duveteux, en bêlant, s’éveillaient.
Une cloche se fit entendre, quelque part derrière elle.
Sans cesser de fixer les immensités vides, Mathilde saisit, devant elle, le fourreau de son arme, pour le plaquer contre son flanc. Avec délicatesse, sa main droite vint enserrer la poignée. C’était une rapière courte, avec une large garde, sans quillons. Mathilde se pencha légèrement et, malgré la raideur de ses bottes, elle parvint à crocheter ses orteils. Elle inspira lentement, longuement, pour remplir d’air chaque petite parcelle de ses poumons.
Ses paupières s’étrécirent.
Elle expira. Avec une douceur infinie, l’acier coula hors de sa gaine, et, miroitant dans l’aube, il découpa le monde d’un long trait vertical. Son mollet, son pied, se déroulèrent sous la cuisse et son talon vint se planter dans la terre au moment très précis où, à hauteur d’œil, le métal venait se planter dans l’azur.
Un genou encore au sol, le bras en tension, elle s’immobilisa, vérifia ses appuis, son aplomb.
Avec la même douceur, la même maîtrise patiente, elle déploya sous elle sa seconde jambe. Ses pieds ne bougèrent pas cette fois, seule les hanches, comme montées sur des vérins, s’élevèrent d’un mouvement uni, régulier, pendant que la lame basculait de côté, venait caresser son épaule pour aller se nicher, menaçante, au creux de son coude gauche.
Elle resta ainsi un instant, comme une étrange violoniste, bandée de tout son être pour une dernière note.
Puis l’archet glissa le long de sa manche, survola le dos de sa main. Ses jambes se développèrent en une large fente. Mathilde arracha au vent une plainte aiguë en traçant devant elle un horizon fugace. Les montagnes, les moutons, les plaines et les sapins disparurent et, le temps d’un battement de cœur, elle n’exista que par et pour le geste.
La magie s’évapora. La cloche, derrière elle, sonna son septième coup et se tut. Le monde redevint vert et blanc, vaste.

Des bruits de pas. Mathilde rangea son épée et se retourna. C’était Louise, qui arrivait du village par un chemin de terre. La jeune fille s’arrêta à quelques mètres et s’inclina légèrement.
-Bonjour Louise.
-Bonjour madame. Les chevaux sont prêts, nous pouvons partir quand vous le voudrez.
-C'est parfait.
Mathilde marcha jusqu’à son sac et en tira une gourde. Elle joua avec le bouchon d’un air pensif, le regard posé sur la silhouette fine et gracieuse de sa servante, sur ses longs cheveux noirs, ses grands yeux tristes.
-Louise ?
-Oui madame ?
-Nous allons quitter la route. J'en ai assez, j'ai à faire à Bourg-Bélin. A partir d'ici, en coupant à travers la forêt, on pourra gagner quelques jours.
Elle scruta le visage de la jeune fille, qui ne cilla pas. Il était étonnant de constater à quel point, malgré son tempérament doux et sensible, Louise Vauquelin s’était adaptée à la personnalité singulière de sa maîtresse. Mathilde déboucha la gourde, but un peu d’eau, cracha, but à nouveau et fit quelques pas. Une légère brise s’enroula dans ses boucles couleur de paille.
Le monde changeait. Depuis qu’elle avait choisi de devenir chevalier, Mathilde de Quatremaille n’avait eu de cesse de se tailler une place dans une société où les femmes respectables pratiquaient la danse, la musique ou la poésie. Eventuellement un peu d’équitation, mais certainement pas l’escrime. Quant à commander des hommes…
Mais depuis peu, ses exploits à la Porte du Berger lui avaient valu, en plus de la longue estafilade qui avait failli lui ôter un œil, la reconnaissance tant désirée. Le roi Geraud d’Ackenberg l’avait reçue à la capitale pour un adoubement solennel, et toute la cour avait défilé en un cortège de courbettes hypocrites devant celle que l’ont surnommait maintenant la Marthilde. De nouveau sur la route, en direction de Bourg-Bélin, le domaine des Quatremaille, elle cheminait avec l’esprit étrangement désemparé de qui a soudain réalisé un rêve cru impossible, et ne sait pas très bien vers quoi se tourner désormais.
-Quel âge avez-vous Louise ?
-Dix-sept ans madame. Aujourd'hui.
Mathilde but encore une gorgée, puis désigna du goulot ses affaires laissées à terre.
-Fouillez là dedans, voulez-vous ? Il y a un coffret, dans du cuir.
Louise s’avança, posa un genou au sol et extirpa du sac un paquet rectangulaire, assez volumineux. Elle fit mine de se relever pour l’apporter.
-Non non, je sais ce qu'il contient. Ouvrez-le.
La jeune fille s’assit par terre, en tailleur, et déplia le cuir, dévoilant un magnifique coffret de bois brun. Un travail de marqueterie remarquable ornait le couvercle d’oiseaux et de fleurs. Elle caressa la surface d’un doigt hésitant, à la recherche d’une aspérité, d’un relief, et ne trouva rien.
Louise leva des yeux implorants vers sa maîtresse, qui lui répondit d’un geste bref du menton, et d’un sourire encourageant.
Le loquet coulissa. Les petites charnières de laiton pivotèrent sans un bruit. A l’intérieur du coffret, sur un lit de velours vert, reposaient d’étranges objets. Soigneusement encastrés dans des loges qui épousaient leurs formes, différents ustensiles entouraient la pièce principale : un genre de petite arquebuse, pas plus longue qu’un avant-bras, tout de bois, de bronze et d’acier ouvragé. Mathilde s’accroupit.
-C'est une nouveauté, ils viennent d'inventer ça à la capitale. Pas de mèche, ça tire plus vite. C'est léger, pratique, fiable. Ça manque un peu de précision au delà de quelques mètres, mais c'est bien le seul défaut. Vous savez vous servir d'une arme à feu ?
-Non, mais...
-Ce n'est pas bien compliqué, je vais vous montrer ça.
-Madame ?
Le chevalier de Quatremaille dut rassembler tout son courage pour soutenir le regard de sa suivante.
-Joyeux anniversaire, Louise.
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